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Rencontre avec Imane et Inès : deux jeunes femmes au coeur de projet éducatif.

C’est à travers le réseau social Instagram, que nous avons appris les portes ouvertes de la nouvelle bibliothèque Nur Al-3ilm fraîchement ouverte dans un local de la mosquée EnNour de Gennevilliers (92), ce sont deux jeunes étudiantes qui sont au coeur de ce projet.
Nous sommes donc partis à leur rencontre pour en savoir plus sur ce qui les a poussés à entreprendre dans cette branche encore peu développée au sein de la communauté musulmane de France.

As-salaam ‘alaykoum, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?

Imane :  Nous sommes Imane et Inès. On a une vingtaine d’années, nous sommes étudiantes et salariées aussi.

Inès : À part ça, on gère la bibliothèque lorsqu’on peut et lorsque les lecteurs nous le demandent, on vient pour les prêts de livres. 

Qu’est-ce qui vous a poussé à créer cette bibliothèque ?

Imane : Alors pour commencer je dirais, depuis notre plus jeune âge, on aimait beaucoup lire. On est issue de familles musulmanes, ça ne veut pas dire pratiquants à cent pour cent, mais on a été dans des cours d’arabe plus jeune, donc on a pris notre propre envol et on a cheminé dans la religion grâce aux livres avec Inès. On n’avait pas un énorme budget pour pouvoir s’acheter des livres. Et comme nous étions jeunes, c’était cher pour nous, c’était parfois nos Baby-Sitting qui nous payaient les livres. Et je me rappelle aussi que, lorsqu’on était plus jeune, quand j’achetais un livre, je lui prêtais et inversement. C’est parti de là, on s’était dis qu’on n’était pas les seules à vivre cette situation là, qu’il y en a bien d’autres, et qu’au final il y en a peut-être même des convertis et aussi des gens qui s’intéressent à la religion et qui n’ont pas de moyen pour acheter des livre. 

Et donc l’idée m’est venu quand j’habitais à Londres, je lui ai parlé du fait de lancer un concept d’une bibliothèque, je ne l’ai jamais vu ailleurs mais ça m’est venu comme ça, dans le sens où c’est du vécu. Je lui en ai parlé, elle m’a encouragé. Et à la de base, ce n’était pas dans la mosquée de Gennevilliers, mais plutôt d’un concept sur Instagram et de là on a parlé à Mr Ben Ali (président de l’association EnNour de Gennevilliers).

Et avant cela vous veniez souvent dans cette mosquée ?

Imane : Oui on venait souvent ici, mais le projet est né avant même d’être à la mosquée de Gennevilliers, on a commencé par nos propres moyens sur Instagram. Et après, de bouche-à-oreille au bout de trois semaines, et comme je suis proche de la femme de Mr Ben Ali, elle lui en a parlé, de là il nous a donné rendez-vous, ça lui a plu, puis nous a proposé de nous installer dans la bibliothèque existante et d’en faire la bibliothèque Nur al-3ilm.

Quel genre de bibliothèque existait-il avant votre installation  ?

Imane : C’était une bibliothèque pour les usagers de la mosquée, c’est-à-dire les imams, les professeurs, les élèves. Ils venaient ici pour réviser et emprunter des livres. Mais c’était vraiment pour le personnel de la mosquée. Excusez-moi pour eux entre guillemets, tous les ouvrages qui étaient ici, ils n’étaient profitables que pour ces personnes, et ce n’est pas ce qu’il (le président) voulait en fait. La mosquée de Gennevilliers voulait depuis très longtemps en fait rendre ses ouvrages disponibles pour les emprunteurs, lecteurs, les usagers de la mosquée, mais je veux dire les gens qui viennent ici pour prier etc… mais ne pas restreindre que pour le personnel.

Inès : (…) Comme elle l’a soulignée  Imane, à la base ce n’était pas du tout censé se passer à la mosquée, on avait acheté les livres de nos propres moyens, avec une petite centaine d’euros, on est parti un peu marchander les librairies, voir comment ça va se passer et comment on allait s’organiser. De là, nous avons trouvé une boutique-librairie musulmane située à Gennevilliers même, qui de là nous a suggéré d’aller à Al-Bayyinah directement. C’est à partir de là que nous avons affirmé notre projet, et nous étions sûres de nous en voulant la créer.

Imane : (…) Si je peux ajouter, nous on avait déjà nos affiches à nous, on s’était vraiment lancé dans un projet où c’était nous deux et personne d’autre, sans local, sans rien du tout. On était parti sur soixante-dix livres au départ, on avait sur tout ce qui était administratif, des fiches d’emprunt, on avait investi dans des cartes Vistaprint etc. Et quand on a rencontré Mr Ben-Ali, c’était deux semaines après qu’on ait commencé, on avait encore que deux emprunteurs, il a été conquis par le projet. C’est donc à ce moment-là qu’on a réinvesti dans de vraies affiches, un vrai designer pour les affiches de vraies cartes d’emprunt, on a tout refait et on s’est basée aussi sur les ouvrages qui étaient déjà disponibles dans la bibliothèque de la mosquée de Genneviliers.

“Ce qu’il nous manquait, c’était un local et du soutien“

Ce qu’il vous manquait du coup c’était juste un local ?

Imane : Un local et du soutien, je dirais aussi de la matière au final financièrement parce que c’est assez coûteux d’investir dans des documents etc… on n’avait pas forcément le budget qui suivait.
La mosquée, ce n’était pas juste une question de local, je ne dirais même plus que ça, c’était le soutien aussi bien de tout le personnel, que le soutien financier, matériel, des conseils. Au final, on s’était rendu compte qu’il y avait plein de choses pour lesquelles on ne s’y connaissait pas.

Qu’y-a-t il du coup dans la bibliothèque ? Pourriez-vous nous la présenter ?

Imane : Dans cette bibliothèque, il y a 11 000 ouvrages au total, arabophone (sur l’aile gauche), mais nous ceux qu’on s’occupe le plus, ce sont les ouvrages francophones (du centre à l’aile droite de la salle), et il y a 1100 à peu près.
Ce n’est pas une bibliothèque islamique, car ce n’est pas pour viser que la Oummah (la communauté musulmane), mais c’est également destiné à un pus large public de non initiés qui souhaitent se renseigner.

“C’est une bibliothèque pluridisciplinaire“

Alors pour emprunter un ouvrage, il y a une carte adhérente. Il n’est pas nécessaire d’habiter à Gennevilliers. Il vous faut remplir la fiche de renseignements, vous présenter avec une pièce d’identité et 15 €  de cotisation pour un projet social ou humanitaire. Pour le moment nous n’avons pas encore défini ces projets, mais nous pensons que ça aura pour une double raison : de réinvestir sur d’autres livres, ou sur un autre projet une fois les fonds réunis.
L’adhérent peut emprunter uniquement un seul ouvrage pour l’instant valable dans un délai d’un mois maximum, il y a un joker au cas où l’emprunteur pense ne pas pouvoir finir le livre à temps, mais aussi il doit nous prévenir avant, mais il doit nous prévenir à l’avance. Il peut aussi le rendre avant la date d’échéance et emprunter un autre livre s’il le souhaite. À partir de cinq ouvrages empruntés, il peut choisir plusieurs livres simultanément, et donc à ce moment-là, il passe un badge. 

Inès : Je dirais aussi que c’est une bibliothèque pluridisciplinaire, parce qu’on trouve plusieurs livres sur n’importe quel thème, ça va vraiment de la prière à la Sunnah (habitudes prophétiques)…

Imane : (…) exégèse, mariage. Nous avons choisi de classer par thème et non pas par auteur, ni par lettre comme dans certaines bibliothèque lambda ou municipale. Et donc ce travail a duré une année, entre deux mois pour concrétiser l’idée, c’est-à-dire griffonner sur un calepin, écrire les idées, trouver un nom, trouver le fonctionnement et mettre en place un règlement. Puis ensuite, il nous a fallu aussi deux mois pour trouver un fournisseur, c’était en juin 2019 où l’on a trouvé Al-Bayyinah notre fournisseur de livres. Nous sommes venues à la mosquée le mois suivant, mais on ne savait pas qu’on était partie pour une année. Au final on ça nous a pris plus de temps car il a fallu recouvrir les livres, les trier et aussi trouver des intervenants qui pourraient également le faire car ils ont largement plus de connaissances que nous. Il a fallu également du matériel de bureautique, le logiciel pour répertorier les 1100 livres, les prendre en photo, trier les informations (petit moment de rire…). Donc tout cela nous a pris un an plein, avec des mois d’absence. En effet, les mois où l’on passe nos partiels ou lorsque nous étions en révision on n’était pas forcément présentes.

Selon vous, est-ce que les gennevillois.e.s plus particulièrement les jeunes lisent suffisamment ?

Imane : Justement, pourquoi Mr Ben-Ali il nous a encouragé dans ce projet-là ? Il se trouvait que les jeunes ne lisaient pas pas beaucoup, et quand on fait une introspection en nous-mêmes, on se rend compte qu’on lit de moins-en-moins comparé au temps où nous étions plus jeunes. Donc au final (je ne vais pas généraliser), je dirais que les réseaux sociaux, tout ce qui est multimédia etc… prennent plus de place dans nos vies, et que ça peut empiéter sur notre curiosité. On assouvit notre curiosité que sur internet, puisque c’est la facilité au final, au lieu de se diriger vers une bibliothèque pour emprunter ou une librairie pour en acheter. Donc je dirais qu’on est plus amené à trouver les réponses à nos questions sur internet que sur les livres, ce qui fait qu’on lit moins. Mais en tout cas c’est un constat personnel qui n’engage qu’Inès et moi. 

Inès : Oui je suis tout à fait d’accord, après on est née dans une génération où l’on a baigné dans tout ce qui est informatique, téléphone. Alors on cherche des informations sur internet et ce n’est pas forcément bon, dans le sens où on ne sait pas si c’est réel, si c’est vérifié par des spécialistes, alors que dans les livres on est vraiment sûr de l’information.

“on est née dans une génération où l’on a baigné dans tout ce qui est informatique“

Imane : Encore une fois dans les livres, il faut savoir faire un tri des informations. Il se peut qu’un auteur fasse de bons ouvrages, comme il se peut que dans d’autres, l’auteur donne plus son avis à lui, c’est parfois axé sur des avis personnels. Donc même dans les ouvrages, il faut être apte à trier, en tout cas moi je le pense ainsi. Maintenant dans la génération dans laquelle on est, je trouve qu’on lit moins que nos grands frères et grandes soeurs de la génération précédente, et ce n’est pas que les gennevillois.e.s

Mais du coup les livres religieux que vous avez mis à disposition sont de quelle école de jurisprudence ?

Imane : Alors il ya plusieurs écoles, ça a été trié par Thomas Sibille, qui nous a beaucoup aidé. Mais on a vraiment essayé d’éliminer ou plutôt de trier des livres qui ont une tendance shiite, ou qui ont des déviances extrêmes, on ne les met pas à disposition, même si ça peut être utile à certains étudiants, et on part dans le principe où notre bibliothèque vise toute personne à tout degré de foi et à tout degré de savoir. Donc Thomas Sibille a pensé que ces livres-là, c’est mieux de les mettre de côté. Mais ils sont disponibles pour les étudiants qui, pour eux ont des connaissances solides, et forcément s’ils les demandent pour alimenter leurs thèses ou quoi que ce soit, ça pourrait leur être utile. Le trie a été effectué par l’imam et Thomas Sibille (qui tient la librairie Al-Bayyinah), et qui nous a appris beaucoup de choses.

“On part dans le principe où notre bibliothèque vise toute personne à tout degré de foi et à tout degré de savoir.“

Donc un livre qui n’est pas ici dans la bibliothèque, une personne peut le demander pour l’avoir, c’est ça ?

Imane : C’est ça ! Alors on a mis à disposition un livre d’or, et un tableau ici (collé à l’entrée), et ça c’est pour les emprunteurs, un lecteur comme vous et moi qui a besoin d’un livre particulier, qui n’est pas forcément à la bibliothèque, on peut le rendre disponible. Aussi, on fait des sondages une fois à la fin du mois, pour savoir quels sont les livres on pourrait mettre à disposition. Mais on peut toujours demander un ouvrage, il se peut qu’on l’ait mais qu’on ne le met pas à disposition. 
Mais il me semble que c’est une dizaine de livres, n’est ce pas Inès ?

Inès : Un carton de livres

Et en dehors de Al-Bayyinah, d’où viennent les autres livres ?

Imane : Ils viennent tous d’Al-Bayyinah, car c’est une librairie et maison d’édition. Ils vendent des livres des maisons d’éditions Ennour, Tawbah, Anas et de plusieurs autres éditions. 

Inès : À la base, c’est une librairie, ils revendent des autres maisons d’éditions, mais après, ils ont crée leur propre maison d’édition.

Et en dehors d’elle, vous n’avez pas pensé à établir des partenariats avec d’autres librairies ?

Imane : Non, car nous sommes très satisfaites de leur service. On a eu un suivi tout au long de cette année, alors qu’ils ne sont pas forcément obligés de nous fournir au final. Et donc, on n’a pas pensé à contacter d’autres éditions, parce que du coup, on a des avantages financiers puisqu’on achète des livres à des taux préférentiels. Mais dans le futur, pourquoi pas ? Mais pour l’instant on y a pas pensé.

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