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La mosquée aussi a droit à son architecte

Fissures_mea

Depuis quelques années, trouvetamosquee.fr sillonne la France à la découverte de nos mosquées. Nous avons eu la chance d’en visiter des centaines, aussi différentes les unes des autres mais avec un point commun; livrées à elle même.

A travers la météo des mosquées, nous recensons pour la France, environ 112 projets en cours de construction. De l’évaluation de l’enveloppe financière à la réception des travaux, en passant par la collecte des fonds, l’organisation des équipes, la gestion du chantier, l’aventure s’avère être  un véritable parcours du combattant, particulièrement  quand on n’y est pas préparé…

Nous avons voulu poser quelques questions au sujet de la construction des mosquées à Yacine alias @Yootoomoov.  Architecte Dplg, diplômé de l’École d’architecture d’Alger puis de celle de Paris La Villette. Ce passionné de l’architecture musulmane fonde son agence en 2005 mais continue de collaborer avec différentes agences d’architecture parisiennes, sa façon à lui de découvrir diverses manières d’appréhender le métier d’architecte et de nourrir la réflexion de ses propres projets.  

 

1. Yacine, qu’est ce qui selon vous, différencie l’approche d’un architecte sur un ERP de type mosquée, par rapport à une maison individuelle ?

Un Etablissement Recevant du Public, comme son nom l’indique, est un bâtiment ou un local dans lequel  le public est admis. ça peut donc être une mosquée, mais aussi une boutique, une école, un hôpital, …

La mécanique conceptuelle n’est pas très différente entre un ERP et de l’habitat. Une enveloppe financière, un programme, un contexte et un délai. 

En revanche, c’est au niveau de la réglementation que les choses se compliquent. La réglementation ERP est plus contraignante dans la mesure où elle traite de la prévention contre les risques d’incendie ainsi que la gestion des utilisateurs en cas de sinistre. Sans oublier la dimension accessibilité aux personnes à mobilité réduite. 

On n’évacue pas de la même manière la bibliothèque nationale de France et le petit pavillon. 

 

2. On parle souvent dans le bâtiment de maitrise d’œuvre et de maitrise d’ouvrage. Est ce que vous pouvez nous en dire plus à ce sujet ? Et est ce que les porteurs de projets doivent y faire appel ?

La Maitrise d’Ouvrage est dans la quasi-totalité des cas, l’entité qui passe la commande et qui sera le propriétaire de l’ouvrage. ça peut aller de la ville qui construit son musée au particulier qui prévoit une extension de son pavillon dans son jardin.

La Maitrise d’œuvre est l’entité qui a pour tâche, la conception et la conduite des opérations pour la réalisation du programme lancé par le maitre d’ouvrage. Il s’agit souvent d’un groupement de compétences (architectes, bureaux d’études techniques, économistes de la construction, …) avec un Mandataire, une sorte de d’interlocuteur unique du Maitre d’Ouvrage. 

Ces schémas peuvent changer dans certains types de marché ou dans d’autres pays mais globalement, c’est la structure à retenir. 

 

3. Peut-on faire l’économie du maitrise d’œuvre et que risque-t-on  dans ce cas?

On peut bien évidemment ne pas faire appel à une maitrise d’œuvre et la loi le permet dans certains cas. Si vous construisez votre maison et que la surface des planchers n’excède pas 170 m2, vous pouvez faire appel à une entreprise sans passer par la case architecte. Vous pouvez même réaliser les travaux par vous même si vous êtes un peu bricoleur. 

En revanche, cette dérogation ne concerne pas les établissements recevant du public. Il y’a donc un risque légal important.

 

4. Et pourtant certain le font?

Ils ne devraient pas le faire car au delà de l’aspect règlementaire, il y’a la possibilité de mettre en danger la vie d’autrui.

Ils se privent également d’une sensibilité esthétique et créative ainsi qu’un savoir faire technique nécessaire à tout projet architectural.

 

5. Ceux qui ne souhaitent pas faire appel aux services des architectes mettent souvent en avant leurs honoraires, élevés. Que répondez-vous à ça ?

C’est une situation qui peut intervenir après l’obtention du permis de construire, pas avant. On croit que le plus dur est fait et on décide de ne pas prolonger la mission de l’architecte. 

Les étapes qui succèdent au permis de construire sont les plus compliquées à gérer. Les études détaillées du projet, le choix des matériaux, la gestion des coûts, la sélection des entreprises, le suivi des opérations d’exécutions, la veille au respect des normes… des missions qu’il faut maitriser sans quoi, le projet est mis en péril.

Les architectes occupent une place à part dans l’organigramme d’une opération de construction. Leurs honoraires peuvent paraître élevés mais sont justifiés par le caractère généraliste et transversal de leur intervention, indispensable au bon déroulement du projet de construction.

Je ne pense pas que l’on puisse comparer les honoraires de l’architecte aux coûts des éventuelles malfaçons causées par son absence.

 

6. Comment expliquez vous donc le peu d’engouement des responsables associatifs musulmans envers votre profession ?

Je n’y vois que deux explications. Le manque de rigueur et la méconnaissance du monde du bâtiment.

Faire appel à un architecte est un acte fort du Maitre d’Ouvrage. C’est la volonté de confier son projet à un homme de l’art et cela nécessite de l’exigence et un certain attrait pour le beau, l’utile et le pérenne.  Loin de moi l’idée que tous les projets soient des réussites mais disons que comme postulat de départ, nous devrions tous aspirer à cela.

Faire appel à un architecte, c’est aussi la volonté de réaliser des économies car quoi que l’on dise, à projet équivalent, un architecte vous fera économiser de l’argent.

Sur un autre plan, moins glamour, il y’a la responsabilité.

Pour faire le parallèle, j’aimerai citer le 72 ème verset de Surat Al Ahzab (les Coalisés) :

 » Nous avions proposé aux cieux, à la terre et aux montagnes la responsabilité. Ils ont refusé de la porter et en ont eu peur, alors que l´homme s´en est chargé; car il est très injuste [envers lui-même] et très ignorant ».

Si ceux qui lancent des projets de construction sans se faire assister par des professionnels du bâtiment, savent les risques qu’ils prennent et qu’ils font prendre au public, plus jamais ils ne s’aventureraient à le reproduire.                           

D’ailleurs, une plate-forme d’échanges entre responsables associatifs et professionnels du monde du bâtiment verra bientôt le jour iA. Une sorte de compagne de sensibilisation qui permettra aux responsables d’avoir une vision globale sur une opération de construction, de sa faisabilité à sa livraison.

 

7. Pouvez vous nous en dire plus?

Le projet est encore en gestation. Ce qui certain, c’est que nous sommes conscients de notre devoir de conseil et nous voulons le pratiquer.

 

8. Si on devait faire un compromis que conseillerez-vous.

J’imagine mal les musulmans tenter de faire un compromis entre le licite et l’illicite. Et bien dans le bâtiment, c’est pareil, pas de compromis sur les sujets essentiels.

Souvent, je suggère à mes clients de faire une liste de ce qui est négociable et de ce qui ne l’est pas. S’il doit y avoir un compromis, il faut le faire au détriment du superficiel.

9. mais compte tenu des moyens dont disposent les associations, le compromis semble toujours inévitable, non?

Pas forcement. Si les associations n’ont pas assez de moyens pour tout réaliser, je leur conseille de prévoir un phasage des opérations qui leur permettra d’étaler dans le temps leurs dépenses au lieu de sacrifier leur Maitrise d’œuvre.

Il est plus intéressant de mon point de vue, d’avoir un projet final conforme à tout égard avec 2 ans de retard, qui ne le sont finalement pas puisqu’il est prévu dans le phasage, plutôt que de le réceptionner dans les délais initiaux, avec malfaçons et dysfonctionnements. 

Aujourd’hui, les associations sont pressées de terminer les travaux et peu d’entre elles disposent du budget nécessaire à la construction au moment de démarrer les travaux. Voilà un sujet sur lequel nous devrions travailler. 

 

10. Avez-vous quelques choses à ajouter ?

Le monde du bâtiment avec toutes les compétences qui l’animent, recèle un nombre incalculable de problèmes et de situations plus ou moins graves. S’aventurer dans une opération de construction en se fiant à son instinct quand on n’est pas formé pour, n’est tout simplement pas très responsable comme attitude. 

L’architecture, l’ingénierie, le conseil, sont de vrais métiers et les responsables associatifs doivent avoir la lucidité de s’entourer de compétences.  

Je rencontre beaucoup de responsables associatifs, bénévoles et dévoués, qui font un travail extraordinaire mais face à certaines situations, cela ne suffit pas.  

Les mentalités évoluent dans le bon sens et c’est très bien. 

 

Merci Yacine d’avoir répondu à nos questions.

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