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Y a t-il des Frontières dans l’au-delà ?

Les français de confession musulmane sont forcés à une mutation de mentalité. Pendant plus d’un demi-siècle en France, s’est installée une coutume chez les musulmans français qui ont immigré après la seconde guerre mondiale en France, celle d’être rapatriés dans leur pays d’origine, lors d’un décès. Tout un système économique d’associations, de mutualisations de moyens et d’assurances décès s’est construit pour répondre à ce besoin, pour que le défunt puisse reposer avec ses proches, dans sa terre originelle.

Cela pouvait être compréhensible pour deux raisons, l’une purement émotionnelle et l’autre cultuelle. La première génération avait une attache très forte à sa terre natale tout en se construisant sur le mythe du retour au pays. . C’est humain de vouloir être enterré dans son village natal, à l’image du parisien qui souhaite être enterré dans son village natal en Auvergne. La deuxième raison, c’était cette peur de ne pas pouvoir reposer dans un cimetière de manière perpétuelle et d’être enterré conformément aux rites, par exemple l’orientation de la tombe vers qibla (La Mecque).

Les Frontières fermées, l’enterrement en France obligatoire ?

Cette crise sanitaire, engendrée par le Corona, bouleverse cette pratique puisque toutes les frontières sont fermées et que les défunts ont l’obligation d’être enterrés en France. Nous avons même oublié cette recommandation prophétique (bsl) qui nous disait que le musulman doit être enterré sur le lieu de son décès, et expatrier un corps en Islam est autorisé s’il y a un risque de préjudice ou de violation de la tombe. Le prophète (bsl) nous a demandé d’enterrer le musulman rapidement sur son lieu de décès.

Au-delà de l’aspect spirituel, cette crise nous bouscule dans un aspect existentiel. D’où que nous venions, aillant des origines différentes, au-delà des crises d’intégrations, les français de confession musulmane, en choisissant  d’être enterrés en France, c’est mettre fin au mythe du retour sur lequel les premières générations se sont construites.

Le sujet identitaire est complexe, nous pouvions croire que les 2ème et 3ème génération voir 4ème seraient plus déterminées à se faire enterrer en France. Sans généraliser, beaucoup de Français ou de musulmans vivant en France, n’ont pas de soucis de conscience à se faire enterrer en France. Seulement, cela devient un dilemme, lorsqu’ils ont ce choix à faire pour l’inhumation de leurs parents. Ils s’attachent à respecter les dernières volontés de leurs parents, bien que l’on doive appréhender le contexte de crise actuel comme divin.  Les frontières sont fermées et les vols très rares. De manières absurdes , certains préfèrent laisser leurs parents dans une chambre froide un mois ou dans un cercueil plusieurs mois dans un dépositaire au cimetière pour l’enterrer plus tard au « bled ». Là, il y a une contradiction avec l’éthique musulmane qui est de suivre le principe prophétique de l’empressement à enterrer son défunt dans la ville de son décès.

Pourquoi nous manquons de carrés confessionnels ?

Pour finir, l’obstacle principal qui peut être entendable, est celui du manque de carrés confessionnels musulmans dans les cimetières laïques. Cette crise sanitaire aura mis en exergue cette carence au grand jour dans les zones qui ont été très impactées par les décès dûs à l’épidémie.

Une double critique s’impose.  Certaines associations musulmanes qui n’ont pas anticipé l’inhumation des prochaines générations de musulmans en France, se sont sentis à l’abris avec un rapatriement probable. A cela, il faut ajouter certains maires hermétiques à la multi culturalité de leur concitoyen, qu’ils soient ignorants de cette problématique pour les plus sincères ou pour d’autres, apeurés par des élans extrémistes  car malheureusement certains maires sont prêts à ne pas être légalistes pour des intérêts électoraux. Cependant, il faut souligner que beaucoup de Maires responsables ont déjà traité cette problématique en mettant des carrés confessionnels dans le cimetière communal. Devant la mort, c’est très rare de trouver des maires hermétiques à ce que les familles puissent être inhumées dans la dignité et dans le respect des convictions.

Y aura-t-il un sursaut de conscience ?

Pour conclure, je dis souvent que celui qui n’a pas été confronté à la mort d’un proche, n’a pas ressenti ce rappel à la vie.  Tant qu’il y a de la vie, il y a un espoir de changement et de bien-être.

Les politiques françaises ont eu longtemps, envers les populations migrantes, cette injonction de s’intégrer. Au moment de la mort, ces politiques ne peuvent pas être contradictoires et demander aux citoyens d’aller reposer ailleurs que dans leur pays. C’est un devoir de Fraternité d’avoir un sursaut de conscience et de mettre en place des emplacements dans les cimetières, comme en temps de guerre. Des milliers de cimetières en France contiennent des emplacements dédiés aux combattants musulmans inhumés ensemble, dans le respect de leurs rites durant la première et deuxième guerre mondiale. Si nous sommes en guerre contre cette épidémie, nous avons le devoir d’être fraternels et solidaires envers tous les morts quelques soient leurs confessions ou leurs origines, pour ne pas rajouter de la douleur à la douleur de perdre tant d’âmes, en France.

Mustapha Ettaouzani

Président du CDCM Loiret

 

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