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Le retour diplomatique de la Turquie dans le monde musulman

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turquie au centre de son monde

On a beaucoup parlé de la diplomatie turque ces dernières semaines. D’abord, à l’occasion de l’initiative menée conjointement avec le Brésil afin de négocier un accord avec l’Iran sur la question nucléaire. Ensuite, à propos de la flottille envoyée pour briser le blocus de Gaza, les ONG turques engagées dans cette opération étant largement soutenues par leur gouvernement. Enfin, on peut évoquer les opérations militaires menées dans le Kurdistan irakien et les négociations constantes menées avec le gouvernement de Bagdad pour stabiliser la région.

Il peut sembler étonnant de relever ces différentes initiatives turques : après tout, l’Iran, Gaza ou l’Irak sont des voisins presque immédiats de la Turquie. Pourtant, il apparait bien que ces éléments sont constitutifs d’un véritable retour diplomatique de la Turquie dans le monde musulman.

La Turquie s’est relativement détournée du monde musulman depuis sa candidature à l’adhésion dans l’Union Européenne, qui fut, il faut le souligner, officiellement acceptée. Cette politique tendant à l’intégration européenne est une orientation stratégique poursuivie depuis la fin des années soixante. Soucieuse de présenter les garanties nécessaires à son intégration dans l’ensemble européen, la Turquie a longtemps adoptée une diplomatie d’abord tournée vers Bruxelles. Les autorités européennes ont conditionné cette adhésion à un certain nombre de réformes politiques, d’où un processus relativement long. Ankara a procédé à ces réformes progressivement, respectant de plus en plus les critères pour l’adhésion.

Aujourd’hui, pourtant, cette adhésion turque à l’Union Européenne semble assez illusoire. La France, sous la présidence Chirac, a insérée dans sa Constitution un article soumettant toute nouvelle adhésion à l’Union à l’approbation du peuple français, par référendum. Considérant la défiance actuelle à l’égard de l’Autre en général, en particulier quand cet Autre est musulman, on peut assez aisément imaginer le résultat de ce référendum. Le président Sarkozy manifeste ouvertement son opposition à cette adhésion, considérant que la Turquie n’est pas européenne et qu’il faut seulement lui proposer un accord d’association approfondie. Au-delà de la France, les autorités allemandes, par la voix de la chancelière Merkel, refusent également la perspective d’une adhésion turque à l’Union. On le voit, deux des plus grands Etats européens, au moins, se prononcent en défaveur d’une intégration turque dans l’Europe.

Face à cette perspective d’un reniement de la parole donnée, en dépit des nombreuses réformes effectuées à la demande des autorités européennes, le gouvernement turc tend à trouver une alternative à l’échec annoncé de l’intégration à l’Europe. Cette alternative consiste à reconstruire une politique étrangère autonome tournée vers le monde musulman. Je dis bien reconstruire, car la Turquie n’est pas étrangère à la région. On peut le rappeler, Gaza et l’Irak étaient des territoires ottomans, l’ancêtre de la Turquie, jusqu’en 1918. Voilà pourquoi les spécialistes parlent d’une nouvelle diplomatie « néo-ottomane » pour qualifier la politique étrangère turque récente. En clair, la Turquie réinvestit diplomatiquement le monde musulman, notamment les territoires qui faisaient partie de son empire jusqu’en 1918.

Cette autonomisation de la diplomatie turque et son immixtion dans le monde musulman sont très intéressants, à plusieurs titres. D’une part, il apparait que cette nouvelle stratégie vise clairement à sauvegarder un rôle central pour la Turquie. Cette dernière devait être la gardienne des frontières européennes sud ; la voilà désormais partie prenante à un jeu diplomatique qu’elle cherchera à modeler selon ses seuls intérêts. L’Europe pourrait regretter amèrement sa stratégie de « containment » anti-turc. D’autre part, on peut s’interroger sur l’impact de cette nouvelle implication turque pour le monde musulman. La modernité turque, notamment à travers son dynamisme économique et son système politique démocratique, se déploiera-t-elle dans le monde musulman, du fait de cette influence diplomatique nouvelle ? La Turquie cherchera-t-elle à susciter et mener une Union avec les pays de la région, profitant de sa robustesse et d’une non-arabité qui permettrait de contourner les traditionnelles querelles de leadership entre pays frères ?

La nature a horreur du vide. Le vide laissé par le très probable mise à l’écart de la Turquie de l’Union Européenne ouvre des perspectives passionnantes pour ce pays et ses voisins. Peut être en sortira t-il un mieux pour le monde musulman. Peut-être.

Al-Safâh

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