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Laïcité (s)

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«Nous ne pensons pas qu’il faille légiférer sur ce que les gens ont le droit, ou pas, de porter en fonction de leurs croyances religieuses. (…) Aux Etats-Unis, nous prendrions d’autres mesures pour assurer l’équilibre entre la sécurité, d’une part, et d’autre part le respect de la liberté religieuse et des symboles qui lui sont associés».

Les propos rapportés ci-dessus n’ont pas été prononcés par un opposant marginal de la laïcité, un individu suspect et dangereux ou une voix sans intérêt. L’opinion rapportée suit  le vote par l’Assemblée Nationale française de la loi interdisant le port de la burqa, le 13 juillet 2010. Elle est émise par Philip Crowley, porte-parole du Département d’Etat (l’équivalent du Ministère des Affaires Etrangères aux Etats-Unis), le 14 juillet 2010.

Ainsi, les Etats-Unis marquent explicitement leur opposition à une législation visant à interdire certains modes vestimentaires attachés à une croyance religieuse. A cet égard, les Américains avaient déjà manifesté leurs réserves face à la loi de 2004 interdisant le port de signes religieux ostentatoires à l’école, pour le personnel encadrant comme les élèves.

Ne soyons pas candides, il faut bien observer la part de calcul dans cette position américaine. Les américains, on le sait, sont en guerre ouverte contre l’extrémisme islamiste en Afghanistan, toujours présents militairement en Irak, ardents partisans de la sévérité à l’égard de la politique nucléaire de l’Iran, soupçonnés par l’ensemble du monde musulman de connivence avec Israël au détriment de la cause palestinienne… Les facteurs pouvant faire des Etats-Unis les ennemis objectifs des musulmans sont potentiellement nombreux. Afin de faire comprendre que leur politique vise à lutter contre des Etats particuliers et des groupes extrémistes bien identifiés et non contre la religion musulmane en tant que telle, les Etats-Unis ont tout intérêt à donner des gages de leur absence d’hostilité à l’encontre de la communauté musulmane. La thématique de la liberté religieuse devant être reconnue aux musulmans dans les pays occidentaux est un vecteur de cette stratégie visant à gagner les cœurs et les esprits.

Au-delà de l’argument opportuniste, force est de constater toutefois que la position des Etats-Unis se traduit effectivement dans le droit américain.

Les Etats-Unis, au même titre que la France, est un Etat laïc.

Le premier amendement de la Constitution américaine de 1787, ratifié le 15 décembre 1791, dispose explicitement que « le Congrès ne fera aucun loi relativement à l’établissement d’une religion ou en interdisant le libre exercice. » Cet article énonce clairement que l’Etat ne peut marquer sa préférence pour une religion particulière. Il n’y a pas de religion d’Etat, l’Etat n’est pas compétent pour réguler la sphère religieuse : il y a donc séparation entre l’Etat et la Religion, ce qui est la définition de la laïcité.

On doit donc bien avoir conscience de cet élément tout à fait fondamental : s’il y a une définition unique de la laïcité, entendue comme une stricte distinction entre la sphère politique et la sphère religieuse, les modalités de mise en œuvre de cette laïcité peuvent être très diverses.

Ainsi, la France, république laïque, interdit le port du voile au sein de la fonction publique. On ne peut travailler pour une collectivité publique en portant le foulard. Cela résulte du principe de neutralité. On peut évoquer l’avis du Conseil d’Etat du 3 mai 2000, « Martaux », rendu à propos de l’enseignement public, pour en saisir le sens. D’après cet avis, « si les agents du service de l’enseignement public bénéficient comme tous les autres agents publics de la liberté de conscience qui interdit toute discrimination dans l’accès aux fonctions comme dans le déroulement de la carrière qui serait fondée sur leur religion, le principe de laïcité fait obstacle à ce qu’ils disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses. Il n’y a pas lieu d’établir une distinction entre les agents de ce service public selon qu’ils sont ou non chargés de fonctions d’enseignement. » La portée de cet avis peut être généralisée, ses dispositions s’appliquent à tous les fonctionnaires et agents publics. Le principe de neutralité déduit de la laïcité empêche donc les employés publics de manifester leurs croyances religieuses. Le principe de laïcité conduit également à restreindre la liberté religieuse des usagers du service public. On a évoqué plus haut la loi de 2004 prohibant les signes religieux ostentatoires en milieu scolaire et la future loi, après son vote par le Sénat, interdisant le port de la burqa dans tout espace public. Nul ne pourra, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage, sous peine d’amende. Le texte prévoit également de sanctionner par une peine d’emprisonnement et une amende toute personne contraignant une autre à porter une tenue dissimulant visage.

Aux Etats-Unis, république laïque, le port du foulard par les employés des collectivités publiques est parfaitement admis, sur le fondement juridique du premier amendement de la Constitution. Le droit n’est pas virtuel, il est exercé effectivement et au plus haut niveau de l’Etat. Ainsi, on trouve des hauts fonctionnaires au Département d’Etat portant le voile (pour un témoignage, je renvoie à un lien tiré du site de l’ambassade des Etats-Unis en France. Le port du voile est également autorisé pour les usagers des services publics, dont les élèves de l’enseignement public. Il est même soutenu au plus au niveau de l’Etat. Ainsi, en 2004, une élève avait été exclue de son école, en raison du voile qu’elle portait. Les pouvoirs publics s’étaient associés à la plainte de la famille et la réintégration de l’élève fut obtenue. A propos de cette affaire, Alexander Acosta, adjoint du Ministre de la Justice de l’époque, avait pu déclarer : «Aucun élève ne devrait être forcé de choisir entre sa foi et les bénéfices de l’éducation publique. (…) La discrimination religieuse n’a pas de place dans les écoles américaines.» Aux Etats-Unis, les seules limites à la manifestation de ses croyances religieuses tiennent à des raisons de sécurité publique, quand le port d’un signe religieux peut être dangereux pour la personne qui le porte ou peut se trouver à l’origine d’une situation dangereuse. On recherche alors à concilier l’exigence de sécurité publique et le principe de liberté religieuse.

Au final

on se trouve dans une situation étonnante : un même principe peut aboutir à des pratiques totalement distinctes, voire opposées.

Bien évidemment, l’histoire entre largement en ligne de compte pour comprendre comment des principes identiques peuvent en pratique se trouver traduits de façon si différenciée. En France, la laïcité fut une laïcité de combat. Il s’agissait d’affirmer l’autorité de l’Etat républicain contre une Eglise Catholique puissante qui, politiquement, était favorable à la monarchie. Il s’agissait, en quelque sorte, d’une lutte à mort entre ces deux institutions. Pour l’emporter, l’Etat républicain en arriva à interdire à ses agents de manifester leur foi dans le cadre de leurs fonctions et à restreindre les manifestations d’appartenance religieuse au sein des écoles. Il s’agissait ainsi de républicaniser l’Etat et la Nation, en anéantissant l’influence politique de l’Eglise Catholique. Aux Etats-Unis, on ne s’est historiquement pas situé dans cette lignée. La laïcité ne s’est pas absolument pas imposée contre une Eglise particulière, elle n’est pas apparue comme une arme dans un combat politique. Plus simplement, elle fut perçue comme le moyen d’assurer la coexistence pacifique de communautés religieuses diverses, avec la garantie de l’Etat, en particulier de sa Justice.

Si on peut comprendre que la laïcité n’ait pas évoluée de la même façon en France et aux Etats-Unis, cela signifie-t-il que la divergence historique doit nécessairement perdurer ? Les musulmans constituent-t-ils une nouvelle Eglise menaçant l’Etat ? Peut-on sérieusement poursuivre les restrictions au principe de la liberté de conscience découlant de l’article 10 de la Déclarations des droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, au point de vider ce principe de toute substance ?

Selon nous, si la laïcité fut une arme de combat à un moment donné, rien ne justifie plus qu’elle continue à être perçue ainsi. Les musulmans ne peuvent absolument pas être comparés à l’Institution qui, jadis, prétendait combattre l’Etat républicain pour imposer son influence, voire une restauration monarchique. Par ailleurs, il nous semble tout à fait absurde de proclamer théoriquement de grands principes, comme la liberté de conscience, si, en pratique, ils sont totalement virtuels quand il s’agit de la sphère religieuse.

Notre position n’est pas totalement utopique. Certaines juridictions françaises ont manifesté leurs réserves à l’égard de l’interprétation du principe de laïcité par le pouvoir politique. A ce titre, on doit évoquer le Conseil d’Etat, juge suprême des affaires administratives.

Ainsi, le juge administratif a toujours fait preuve de nuance dans ses arrêts et avis relatifs au port du voile. Dans un avis du 27 novembre 1989, le Conseil d’Etat a considéré que la laïcité ne s’opposait pas à la manifestation des croyances religieuses par les élèves, à condition que cette manifestation ne fasse pas obstacle aux missions dévolues par le législateur au service public de l’enseignement (comme le sport par exemple). Cette position équilibrée fut aussi traduite dans un arrêt du 2 novembre 1992, Kherouaa. Dans cette jurisprudence, le Conseil d’Etat prohibe le fait que les règlements intérieurs des établissements scolaires puissent interdire de façon générale et absolue le port du foulard. Pour le juge, les interdictions ne peuvent être que ciblées et justifiées par les circonstances particulières. Cette jurisprudence équilibrée a été balayée par la loi du 15 mars 2004 prohibant le port des signes religieux ostentatoires en milieu scolaire, le juge se soumettant à la loi.

De la même façon, le Conseil d’Etat a clairement manifesté ses inquiétudes à l’égard de la légalité de la loi prohibant la burqa. Pour la Haute Juridiction, il est juridiquement délicat de fonder sur la laïcité le principe de l’interdiction de la burqa dans les lieux publics. En raison du nécessaire équilibre entre le principe de laïcité et celui de la liberté de conscience. Selon les juges, une éventuelle interdiction de la burqa devrait être assise sur l’idée d’atteinte à la sécurité publique. On ne pourrait prohiber le port de la burqa qu’en cas de trouble à l’ordre public éventuel. On retrouve là encore l’idée que le juge administratif refuse les interdictions générales et absolues. Le Parlement a fait le choix de ne pas suivre les avis du Conseil d’Etat. Il faudra voir si la loi ne sera pas censurée par le Conseil Constitutionnel, vu la possibilité nouvelle de contester la constitutionnalité d’une loi devant le Conseil par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité. Le fondement juridique d’une atteinte excessive à la liberté de conscience pourrait être retenu, étant donné que la loi entend interdire de façon générale et absolue la burqa, sans prise en compte de l’espace où se trouverait la personne la portant. De la même façon, il sera intéressant d’observer l’accueil fait à ces normes juridiques françaises par la justice européenne, Cour de Justice de l’Union Européenne et Cour Européenne des Droits de l’Homme.

Quoiqu’il en soit, nous estimons qu’il est nécessaire de mettre un terme à l’instrumentalisation du principe de laïcité. Certes, ce dernier a historiquement pu être un moyen rationnel de contrer l’influence d’une Institution ecclésiastique désireuse de concurrencer l’Etat. Toutefois on ne se situe plus dans cette configuration conflictuelle. Pire encore, le principe est instrumentalisé en fonction de l’hystérie née de la peur de l’islam et des musulmans. A ce titre, on ne peut qu’évoquer les étonnantes réactions outrées suscitées par l’inauguration d’une mosquée à Argenteuil le 28 juin 2010 par le Premier Ministre François Fillon. Il est temps que la laïcité soit interprétée de façon plus modérée, plus équilibrée, dans la perspective ouverte jadis par le Conseil d’Etat. Ce serait là un facteur de détente et d’apaisement des tensions. Les musulmans souhaitent uniquement respecter le Droit, à condition que ce Droit ne remette pas en cause les droits théoriques qu’il leur confère par ailleurs. Dire aux musulmans qu’ils peuvent l’être, tout en les privant des moyens de le manifester n’a aucun sens. On ne peut demander aux musulmans de s’intégrer en désintégrant leur identité.

Al-Saffâh

 

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Vos réactions 1réaction(s)

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    Momo 21 octobre 2010

    Cette différence entre Etats-Unis et France est vraie. Cependant la laïcité à l’américaine ne fonctionne pas contrairement à la laïcité à la française. Le lobbying marche comme une montre là-bas. La communauté juive influence les Etats-Unis en ce qui concerne leur politique avec Israël. L’Eglise protestante est très présente dans la vie politique américaine. Renseignez-vous sur les polémiques autour de l’enseignement de la théorie de l’évolution dans les écoles qui fut interdite dans certains Etats car « contraire aux vrités présentes dans la Bible ». On trouve une laïcité aux Etats-Unis autant qu’on trouvait la démocratie en URSS, c’est de la forme, une laïcité sur papier. Demandez à n’importe quel citoyen américain, ils ne s’en cachent pas, et d’ailleurs c’est leur droit que je ne me permet pas de critiquer, c’est leur pays, ils font ce qu’il veulent, mais pitié ne prenez pas les Etat-Unis comme exemple d’Etat laïc. De plus la discrimination envers la population musulmane y est une coutume depuis le 11 septembre…

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