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Afghanistan : chronique d’un échec annoncé

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Suite à des déclarations tonitruantes critiquant directement l’exécutif américain dans sa conduite de la guerre, le commandant en chef de la coalition internationale actuellement stationnée en Afghanistan, le général Mchrystal, a été remplacé par le Président Obama. Ce dernier a choisi le général Petraeus pour assumer le commandement des troupes mobilisées sur le front afghan, général qui a pris son poste le dimanche 4 juillet 2010. Au-delà d’un conflit de personnes, toujours possible dans les relations humaines, ce changement est également révélateur des difficultés croissantes connues par la coalition dans sa guerre menée pour stabiliser l’Afghanistan et détruire définitivement les talibans.

L’Afghanistan est un pays complexe, complexité découlant de nombreux facteurs.

D’abord, le pays est composé de nombreuses ethnies. Evoquons quelques exemples de cette mosaïque ethnique. Principalement au sud, l’ethnie pachtoune, numériquement majoritaire. C’est l’ethnie du président Karzaï, celle également du Mollah Omar et de l’immense majorité des membres du mouvement taliban. Essentiellement au nord-est, les tadjiks, l’ethnie de feu le commandant Massoud. On peut également relever l’existence d’une ethnie hazara, au centre du pays. Au nord-ouest, les turkmènes et les ouzbeks doivent être signalés.

Ensuite, l’unité religieuse n’est pas acquise. Ainsi, à titre d’illustration, les hazaras sont chiites alors que les deux principales ethnies, pachtoune et tadjik, sont sunnites.

Par ailleurs, il faut relever que l’Afghanistan est en état de guerre depuis 1979, entre l’invasion soviétique, la guerre civile qui a suivie le retrait soviétique, l’attaque de l’OTAN suite au 11 septembre 2001. Le pays vit une succession de conflits, à dimension internationale ou uniquement interne, qui a littéralement détruit le pays et rendue la population exsangue. Autant dire que la tradition étatique s’est perdue et que la mort ou l’exil des élites rend la gouvernabilité du territoire terriblement délicate.

Ajoutons à cela l’existence d’un mouvement politico-religieux radical, les talibans, non dépourvu de liens avec les groupes islamistes internationaux, comme Al Qaïda. Les talibans sont des musulmans sunnites radicaux défendant une vision littéraliste de l’islam. Ils sont majoritairement pachtounes, même si toute l’ethnie pachtoune ne peut être considérée comme talibane. Toutefois, la solidarité tribale fait du territoire pachtoune un véritable sanctuaire pour les talibans, désireux de reprendre le contrôle du pays, perdu en 2001 suite à l’attaque de l’OTAN. Cette attaque, on le sait, visait à faire chuter le régime taliban en raison de son soutien à Al Qaïda, responsable de l’attaque du 11 septembre.

Il serait tout à fait inconscient de négliger le jeu des puissances voisines dans cette configuration déjà passablement trouble. En tout premier lieu, on ne doit pas manquer de mettre en exergue le Pakistan. Cet Etat mène depuis longtemps une stratégie visant à acquérir, grâce à l’Afghanistan, une profondeur stratégique. Obsédés par leur ennemi indien, les pakistanais cherchent depuis de nombreuses années à contrôler directement ou indirectement l’Afghanistan, afin d’en faire un atout stratégique. A cette fin, les services secrets pakistanais ont toujours soutenu les talibans, qu’ils n’ont pas hésité à entraîner et armer. N’oublions pas que le nord du Pakistan est peuplé de pachtounes pakistanais, très solidaires de leurs frères afghans. La porosité des frontières est une réalité incontestable. En second lieu, on peut évoquer l’Iran. Soucieux d’occuper les américains ailleurs pendant qu’il avance son programme nucléaire, le gouvernement iranien a toujours su entretenir l’instabilité chez son voisin, là encore en finançant les groupes en présence, voire en les entraînant et en les armant.

Enfin, dernier facteur très récent de complexité, les américains ont rendu publiques des études mettant en avant les réserves du sous-sol afghan, a priori très riches en minerais rares et de très grande valeur. Un peu à la façon de la République Démocratique du Congo, ces richesses minières ne risquent pas d’apaiser les tensions mais, au contraire, de les entretenir.

Dans ce contexte explosif, les américains, sous couvert d’une « coalition internationale » en réalité sans volonté propre, poursuivent les objectifs suivants : détruire le mouvement taliban, anéantir les groupes islamistes internationaux installés en Afghanistan, créer un Etat moderne, développer une économie permettant d’élever le niveau de vie des habitants pour empêcher le retour de la guerre et des groupes extrémistes.

Au regard des éléments mis en avant précédemment, ces objectifs s’avèrent parfaitement irréalisables. La guerre en Afghanistan apparait dès lors comme un échec annoncé.

Il semble que les talibans ne puissent être vaincus militairement.

En premier lieu, en raison du soutien, même forcé, de l’ethnie pachtoune. Dans le contexte d’une forte solidarité tribale, comme elle existe en Afghanistan, peut-on imaginer un soldat pachtoune de l’armée afghane faire sérieusement la guerre à son frère engagé chez les talibans ? Si le soldat en cause appartient à une autre ethnie, l’apparence d’une guerre civile serait très forte. L’armée, au même titre que les autres institutions du pays, est gangrénée par les paralysies d’origine ethnique.

Par ailleurs, les talibans bénéficient de soutiens étrangers, notamment celui du Pakistan. Seule puissance nucléaire musulmane, actuellement déstabilisé par le renforcement des mouvements fondamentalistes, le Pakistan use de son statut de partenaire incontournable de Washington pour poursuivre sa stratégie afghane, visant à faire du mouvement taliban un levier pour son influence. Les américains connaissent le jeu trouble du Pakistan, mais ne peuvent aller trop loin dans la critique en raison du soutien nécessaire d’Islamabad à leur politique dans la région. Grâce à ces soutiens, les talibans peuvent bénéficier de ressources financières, d’armements, de lieux de repli (il leur suffit de franchir la poreuse frontière avec le Pakistan pour trouver un refuge).

Enfin, les talibans semblent difficilement réductibles en raison de leur habileté militaire. Sur un terrain propice à la guérilla (contrairement à un Irak essentiellement urbain), du fait de leur connaissance parfaite du terrain découlant des années de guerre connues par le pays, grâce à leur expérience du combat, il apparait clair que les talibans ne pourront être anéantis par des armées lourdes, non préparées à faire face à un mouvement de guérilla sur un espace si vaste et si favorable, soumises à des obligations de résultats rapides et sans pertes humaines excessives par des gouvernements sur la défensive face à leurs opinions publiques. A ce titre, on peut rappeler que le Président Obama a annoncé le retrait des troupes américaines pour l’été 2011. Or, son nouveau commandant en chef, le général Petraeus, estime à une dizaine d’années le temps nécessaire pour sécuriser militairement le pays ; à cet égard, il demande des renforts militaires et des moyens renforcés. La contradiction semble insoluble.

La guerre militaire est un volet du conflit, mais il n’est pas le seul. On ne doit pas perdre de vue la guerre politique en cours. Pour les américains, la guerre politique vise à la constitution d’un Etat moderne, capable de garantir la sécurité pour stabiliser le territoire et de défendre des valeurs compatibles avec les intérêts occidentaux. Cette guerre politique semble également perdue pour les américains.

Le Président afghan, Hamid Karzaï, est profondément corrompu. Sa gestion de l’Etat obéit plus aux règles traditionnelles du jeu tribal afghan qu’aux normes juridiques d’une Constitution moderne. Il semble d’ailleurs préférer un accord avec les talibans plutôt que de les combattre. Ainsi, l’homme que soutient Washington joue sa propre partition, selon des règles qui ont pour but de conserver les structures traditionnelles des pouvoirs afghans, notamment la place des chefs de guerre locaux, plutôt que de rénover fondamentalement le mode de gouvernement.

Sans soutien d’une structure étatique forte, les américains ne pourront jamais voir l’émergence de forces de sécurité afghanes, armée et police, susceptibles de les suppléer et d’asseoir l’autorité de l’Etat sur tout le territoire. L’échec politique renforce l’idée d’un échec militaire annoncé.

A ce titre, on ne peut manquer de relever une certaine naïveté politique américaine. Naïveté consistant à croire que dans un pays si profondément divisé ethniquement et religieusement, si meurtri par des années de guerre, si complexe, il suffirait d’arriver à Kaboul pour proclamer l’Etat, la Constitution et la Modernité. Ces notions sont le fruit d’une histoire politique, d’une expérience, de tâtonnements, de choix conscients : les proclamer de la Maison-Blanche ne suffit pas pour qu’elles existent effectivement.

Au final, on doit bien relever que la volonté américaine de greffer la démocratie occidentale sur le terreau afghan s’annonce être une utopie assez stupéfiante, utopie qui aura malheureusement pour contrepartie le prix du sang. La guerre afghane de Washington s’annonce être un désastre annoncé, pour les américains bien sur, mais surtout pour les afghans eux-mêmes, qui risquent fort de revivre une nouvelle guerre civile quand la coalition internationale devra se retirer. Il est temps que les penseurs musulmans s’emparent de la question politique, pour réfléchir à ce que pourrait être l’Etat, la Constitution, le jeu politique, dans le cadre des histoires locales. L’échec afghan sonne en effet comme étant aussi l’échec des musulmans pour définir une science politique ainsi qu’un droit constitutionnel et administratif propres à leur culture.

Al-Saffâh

crédit photo : Flick’r

Vos réactions 1réaction(s)

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    Isabelle 2 décembre 2010

    Déjà votre article débute mal: une photo raccoleuse, qui ne représente absolument pas la réalité. La fils de ma cousine américaine (mariée à un Américain depuis 30 ans) est un soldat, un policier en plus. Il est allé en Afghanistan et y retourne en avril. Il est loin d’être un espèce de fou qui gueule et maltraite les enfants. Ce serait plutôt le contraire.
    « La porosité des frontières est une réalité incontestable. En second lieu, on peut évoquer l’Iran. Soucieux d’occuper les américains ailleurs pendant qu’il avance son programme nucléaire, le gouvernement iranien a toujours su entretenir l’instabilité chez son voisin, là encore en finançant les groupes en présence, voire en les entraînant et en les armant. ».
    Encore une fois, vous tenez des propos hyper démagogues. D’abord, sachez comme même la Prix Nobel Shirin Ebadi s’est prononcée en faveur du programme nucléaire. Ensuite, l’Iran a le droit d’intervenir dans les pays voisins, particulièrement aux frontières, et particulièrement quand il y a des groupes sunnites qui essaient de tuer des chiites.
    « La contradiction semble insoluble. »
    Cette décision est une décision commune avec le Canada, qui a lui-même suggéré que son retrait (le retrait du Canada) venait trop tôt et qu’il fallait encore essayer d’amiliorer la situation en Afghanistan. Les soldats de la Coalition ne font pas que tuer des gens en Afghanistan vous savez….

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